CHAPITRE DEUX

 

 

L’abbé revint le dixième jour de décembre et franchit la porte au moment où le soir tombait, alors que les moines se trouvaient toujours à vêpres. Ainsi le portier fut-il l’unique témoin de son arrivée et du fait qu’il n’était pas revenu seul. Les religieux durent attendre le lendemain pour apprendre ce qu’il avait à leur dire, du moins ce qui était du ressort de l’abbaye. Mais le frère portier, muet comme une tombe quand il le fallait, était toujours le mieux informé de la clôture et passait les renseignements à ses amis les plus proches. C’est ainsi que Cadfael apprit en gros ce qui s’était passé cette même nuit dans l’une des niches du cloître aussitôt après vêpres.

— Il a ramené un prêtre avec lui, un grand et bel homme – trente-cinq ans au maximum, enfin à vue de nez. Pour le moment on l’a installé à l’hôtellerie ; ils ont eu une longue chevauchée aujourd’hui pour arriver avant la nuit. Le père abbé ne m’a pas dit un mot, il m’a seulement demandé de signaler à frère Denis qu’il avait un hôte pour la nuit et deux autres personnes dont il fallait qu’il s’occupe. Parce qu’il y a une dame qui est venue avec le prêtre, une brave femme qui commence à grisonner et se comporte avec beaucoup de modestie ; pour moi c’est la tante ou la gouvernante du prêtre ; on m’a demandé d’aller chercher un des palefreniers pour l’emmener jusque chez le père Adam. Je me suis exécuté sur-le-champ. Et en plus de cette femme, il y a un jeune domestique qui est à leur service à tous deux et qui s’occupe de leurs courses. Une veuve et son fils, qui sait, tous deux au service du curé. Comme toujours, notre abbé s’en va uniquement avec frère Vitalis et il revient avec trois personnes de plus et deux chevaux en prime. Le petit jeune a pris la femme en croupe pour l’emmener. Alors, qu’est-ce que tu dis de tout ça ?

— A mon avis, il n’y a pas trente-six solutions, répondit Cadfael après mûre réflexion. Le père abbé est revenu du Sud avec un prêtre et sa maisonnée pour Sainte-Croix. Lui, on lui a donné un lit confortable à l’hôtellerie pour la nuit ; quant à ses serviteurs, ils sont partis ouvrir la maison vide, allumer un bon feu, prévoir des provisions et réchauffer et préparer les lieux. Demain au chapitre l’abbé nous dira, c’est évident, comment il l’a connu et lequel des évêques présents à l’assemblée l’a recommandé à son attention.

— C’est ce que je pensais, moi aussi, acquiesça le portier, mais ça aurait été davantage du goût de tout le monde, d’après moi, si on avait désigné quelqu’un de la région. Enfin, c’est l’homme lui-même qui compte et non pas son nom ni d’où il vient. Et je suis persuadé que le seigneur abbé sait parfaitement ce qu’il fait.

Et il s’en alla d’un pas vif, probablement pour susurrer discrètement la nouvelle aux oreilles d’un ou deux autres privilégiés avant complies. A l’évidence même, plusieurs religieux arrivèrent au chapitre du lendemain très au courant, impatients de voir à quoi ressemblait le nouveau venu et de l’examiner sous toutes les coutures. Car même s’il y avait très peu de chances pour qu’on élevât une objection vis-à-vis de quelqu’un choisi par l’abbé Radulphe, le chapitre dans son ensemble avait des droits sur la présentation du nouveau prêtre, et l’abbé n’était pas homme à empiéter sur les privilèges dudit chapitre.

— Je me suis efforcé de revenir le plus vite possible, commença l’abbé quand on eut expédié sans tarder toutes les affaires courantes. En bref, je dois vous rendre compte du concile des légats qui s’est tenu à Westminster ; il est ressorti de la discussion et des décisions prises qu’on a totalement ramené l’Eglise dans le giron du roi Etienne. Sa Majesté elle-même était présente pour confirmer l’établissement de cette relation, et le légat l’a déclaré béni par l’approbation du Saint-Siège ; quant aux partisans de l’impératrice, s’ils persistent dans l’erreur, on les déclarera ennemis du roi et de l’Eglise. Il me paraît inutile, ajouta l’abbé d’une voix passablement sèche, d’entrer plus avant dans les détails.

« Exact, songea Cadfael, l’oreille dressée dans sa stalle préférée, judicieusement caché derrière un pilier, au cas où il piquerait du nez si les problèmes de routine devenaient trop fastidieux. Inutile de nous mettre au courant de l’art de funambule qu’avait dû déployer le légat pour se sortir de ses difficultés. » Mais comme il était évident qu’Hugh aurait droit à un rapport complet, c’était sans importance.

— Ce qui concerne cette maison de beaucoup plus près, poursuivit l’abbé, a fait l’objet d’un entretien que j’ai eu avec monseigneur Henri de Winchester en privé. Sachant que la cure de Sainte-Croix avait été laissée vacante, il m’a recommandé un prêtre de sa propre suite qui attendait un bénéfice. J’ai parlé à l’homme en question, et je l’ai trouvé capable, savant et digne en tout point de cette nomination. Sur le plan personnel, il mène une vie simple et austère, et j’ai moi-même vérifié ses connaissances.

Le détail ne manquait pas d’intérêt, si l’on songeait à la culture plus que rudimentaire du père Adam, même si cette lacune présentait plus d’importance pour les moines ici présents que pour les paroissiens de la Première Enceinte.

— Le père Ailnoth a trente-six ans, précisa l’abbé, il est venu à la prêtrise sur le tard parce qu’il a loyalement et efficacement servi de secrétaire à monseigneur Henri pendant quatre ans, et Son Excellence désire le récompenser de sa fidélité en l’installant dans une bonne cure. Quant à moi, cela me convient, car c’est un homme valable et méritant. Mais si vous n’êtes pas encore à bout de patience, mes frères, je vais lui demander de venir, ainsi il pourra se présenter et répondre en personne à toutes les questions qu’il vous plaira de lui poser.

Un mouvement d’intérêt, d’acquiescement et de curiosité se répandit dans la salle capitulaire, et le prieur Robert, s’assurant que tout le monde était d’accord, sortit, sur un simple regard de l’abbé, pour aller chercher l’impétrant.

« Ailnoth, se dit Cadfael, c’est un nom saxon, celui qui le porte sera sans doute un beau gaillard. Bien, c’est toujours mieux qu’un quelconque Normand qui aurait traîné un peu partout à la cour. » Mentalement, il se représenta un grand jeune homme avec une peau fraîche, colorée, et des cheveux blonds, mais il y renonça aussitôt que le père Ailnoth fut entré sur les talons du prieur et eut pris place, avec calme et élégance, au milieu de la salle du chapitre, afin que chacun pût le voir.

Il était effectivement grand et beau, avec de larges épaules ; souple et musclé, il avait une démarche vive, il se tenait très droit et resta parfaitement immobile quand il eut trouvé sa place. A sa façon, il avait grande allure, mais loin d’arborer la blondeur des Saxons, il avait les cheveux et les yeux plus noirs que Hugh Beringar lui-même. On était frappé par sa haute silhouette patricienne, sa peau olivâtre et ses joues impeccablement rasées, plutôt pâles. Les cheveux sombres qui entouraient sa tonsure étaient raides comme des baguettes de tambour, épais et coupés avec tant de précision qu’on aurait dit qu’ils avaient été collés à la peinture noire. Il s’inclina, non sans austérité, devant l’abbé, joignit les mains, qu’il avait longues et fortes, à la hauteur de la ceinture, et attendit la suite des événements.

— J’aimerais présenter le père Ailnoth à cette assemblée, dit l’abbé. Je propose que nous le choisissions pour la cure de Sainte-Croix. Interrogez-le sur ce qu’il souhaite accomplir dans ce domaine, voyez ce qu’il a réalisé dans le passé, ses états de service, et il vous répondra sans se faire prier.

Il est vrai qu’il répondit sans détour, après avoir été lancé par quelques aimables paroles de bienvenue du prieur Robert, qui le trouvait manifestement très à son goût. Il s’expliqua avec des mots choisis, sans se perdre dans les détails, comme quelqu’un qui a toujours eu confiance en lui et ne voyait nullement en quoi il pourrait douter de lui-même, mais qui n’a pas de temps à perdre. Sa voix, un peu plus aiguë que Cadfael ne l’aurait attendu chez un homme aussi grand, avec un coffre pareil, témoignait d’une incontestable autorité. Il rendit compte de lui-même avec force, déclara son intention d’accomplir son devoir avec l’énergie et l’intégrité requises, et attendit le verdict le concernant avec une confiance d’airain. Il connaissait parfaitement le latin, savait un peu de grec, et la comptabilité n’avait pas de secret pour lui, ce qui augurait bien la façon dont il administrerait son église. Le résultat était connu d’avance.

— Si je puis me permettre de formuler une requête, père abbé, conclut-il, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir trouver du travail parmi vos serviteurs laïcs pour le jeune homme qui m’a accompagné jusqu’ici. Il s’agit du neveu et seul parent de ma gouvernante, la veuve Hammet ; elle m’a supplié de le laisser venir jusque-là et de lui trouver un emploi sur place. Il n’a pas de terres et il est sans le sou. Vous avez vu, seigneur abbé, qu’il est solide, en bonne santé et qu’il n’a pas peur de travailler dur. Il s’est montré serviable et de bonne volonté pendant le voyage et je le soupçonne d’avoir quelque penchant pour la vie monastique, même s’il ne s’est pas encore vraiment décidé. Si vous pouviez lui trouver de quoi s’occuper au moins provisoirement, cela lui permettrait peut-être d’y voir plus clair.

— Ah oui, le jeune Benoît, dit l’abbé. Il est de fait qu’il semble issu d’une bonne famille. Il sera certes le bienvenu, pendant sa période de probation, et je ne doute pas qu’on puisse lui procurer un emploi. Ce n’est pas le travail qui manque dans la cour de la grange ou dans les jardins...

— C’est absolument vrai, père, s’exclama Cadfael avec enthousiasme. Si on me confiait un aide aux bras solides, je ne dirais pas non. Il reste pas mal de terrains à bêcher en prévision de l’hiver, une partie du potager a simplement été nettoyée, et il y a des arbres à élaguer au verger – ce qui n’est pas une mince affaire. Avec le froid qui vient, les jours qui diminuent et frère Oswin qui est parti à Saint-Gilles, j’aurais grand besoin d’un assistant. Je vous aurais sans tarder demandé qu’on me confie un de nos frères pour venir travailler avec moi, comme à l’accoutumée, même si je ne m’en suis pas trop mal sorti cet été.

— Très juste ! Et il reste encore à labourer sur la Gaye, et puis à Noël, enfin à cette époque, l’agnelage va commencer dans nos étables des collines, si on n’a plus besoin de ce jeune homme ici. Oui, envoyez-nous donc Benoît. Et si par hasard il trouve plus tard un autre emploi plus avantageux, il pourra compter sur notre bonne volonté. Entre-temps, cela ne lui fera pas de mal de travailler activement pour nous.

— Je lui transmettrai le message, dit Ailnoth. Je suis sûr qu’il vous en sera aussi reconnaissant que moi. Sa tante aurait été désolée de le quitter, étant donné que c’est le seul parent plus jeune qui lui reste pour l’aider. Dois-je vous l’envoyer aujourd’hui ?

— Mais oui, et dites-lui de demander frère Cadfael à la loge. Maintenant, avec votre permission, nous avons à discuter entre nous, père, dit l’abbé. Attendez dans le cloître où le père prieur ira vous informer de notre décision.

Ailnoth inclina légèrement la tête, recula respectueusement d’un ou deux pas pour obéir à l’abbé et sortit à grands pas de la salle capitulaire, plein de confiance, portant droit sa belle tête aux cheveux noirs. Avec sa démarche énergique, sa robe volait, évoquant des ailes à demi déployées. Il était déjà sûr, et il n’était pas le seul, d’obtenir la cure de Sainte-Croix.

 

— En gros, ça s’est passé comme vous vous en doutiez, j’imagine, dit l’abbé Radulphe, un peu plus tard dans la journée, dans le parloir de ses propres appartements, alors qu’un feu brûlait modestement dans la cheminée et que Hugh Beringar se tenait assis en face de lui de l’autre côté du foyer.

Le visage de l’abbé était encore tiré et gris de fatigue, et ses yeux profondément enfoncés dans les orbites semblaient un peu creux. Les deux hommes en étaient venus à se connaître très bien et s’étaient accoutumés à n’avoir pas de secrets l’un pour l’autre pour le plus grand bien de l’ordre et de l’Angleterre, s’entretenant à chaque fois qu’ils apprenaient quelque chose de nouveau ou de vraisemblable. Ils ne s’étaient jamais demandé s’ils partageaient les mêmes opinions. Leur domaine était très différent, ne se recoupait pas, mais leur sens de la discipline était le même, ce qu’ils reconnaissaient implicitement.

— L’évêque n’avait guère le choix, dit simplement Hugh. Il n’en avait même pratiquement aucun, avec le roi de nouveau libre et l’impératrice repoussée au fin fond de l’Ouest, après avoir presque tout perdu dans le reste de l’Angleterre. J’imagine qu’il devait être dans ses petits souliers et je ne sais pas comment je me serais tiré d’une telle situation à sa place. Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. Moi, je m’en garderai bien.

— Et moi de même. Mais on aura beau dire, ce n’est pas un spectacle édifiant. Après tout, il y a des gens qui n’ont jamais tourné casaque, que le sort leur ait été favorable ou contraire. Il faut pourtant reconnaître que le légat avait bel et bien reçu la lettre du pape, qu’il nous a lue en assemblée plénière, lui reprochant de n’avoir pas remué ciel et terre pour obtenir la libération du roi, et le pressant de s’y consacrer d’abord et avant tout. Qui oserait s’étonner qu’il l’ait exploitée au maximum ? En outre, le roi est venu en personne. Il est entré dans la grande salle et il s’est plaint officiellement de tous ceux qui lui avaient juré fidélité, avant de le laisser moisir en prison, et qui ont bien failli le tuer.

— Et ensuite, il s’est rassis, et il a laissé son frère utiliser toute son éloquence pour échapper à ses reproches, dit Hugh avec un sourire. Il a cet avantage sur sa cousine et rivale. Lui sait quand il faut montrer de la clémence et oublier, ce qui est loin d’être son cas à elle.

— Oui, d’accord. Mais ça n’avait rien d’agréable à entendre. L’évêque Henri s’est chargé de sa propre défense. Il a reconnu franchement qu’il n’avait pas eu d’autre solution que de prendre les choses comme elles venaient et de recevoir l’impératrice. Il a prétendu avoir agi au mieux, mais qu’elle n’avait tenu aucune de ses promesses, qu’elle avait outragé tous ses sujets, et guerroyé contre lui pour le tuer. En conclusion, il a de nouveau juré que l’Eglise serait fidèle au roi Etienne, et il a adjuré tous les hommes bien nés et de bonne volonté de le servir. Il a même prétendu, ajouta l’abbé tristement, après réflexion, qu’il n’avait pas été inactif dans la libération du roi. Et il a chassé du giron de l’Eglise tout ce qui continuerait à porter les armes contre lui.

— A ce qu’il paraît, il a aussi mentionné l’impératrice en tant que comtesse d’Anjou, ajouta Hugh tout aussi sèchement. Titre qu’elle déteste, car humiliant par rapport à sa naissance et à son rang du fait de son premier mariage – elle est quand même fille de roi et veuve d’empereur – , et on la réduit maintenant à un nom emprunté à un second mari ni très tendre, ni très aimé. Geoffroi d’Anjou lui était en tout point inférieur, sauf en ce qui concerne le talent, le bon sens et l’efficacité. Après tout, il s’est borné à donner un fils à Mathilde. Et on ne saurait guère douter de l’amour qu’elle porte au petit Henri.

— Il n’y a pas eu une seule voix pour s’élever contre cela, mentionna l’abbé presque négligemment. Sauf un envoyé de la dame en question qui n’a pas eu plus de succès que celui qui a parlé la dernière fois au nom de l’époque du roi Etienne. Enfin, au moins, celui-là n’a pas été attaqué par des assassins en pleine rue[2].

Inéluctablement, ces deux conciles de légats, celui d’avril et celui de décembre, s’étaient mutuellement renvoyé leur image comme dans l’eau glaciale, indifférente, d’un miroir, puisque le destin avait d’abord souri à un camp, puis à l’autre, et repris de la main gauche ce qu’il avait donné de la droite. Il n’était pas exclu que d’autres revers de fortune se produisent avant que le bout du tunnel soit en vue.

— Nous voilà revenus au point de départ, constata l’abbé, sans guère de perspectives encourageantes après ces mois de souffrances. Que va faire le roi maintenant ?

— J’espère en savoir plus pendant les fêtes de Noël, dit Hugh, se levant pour prendre congé. Car moi aussi, je suis convoqué, père. Comme vous. Sa Majesté veut réunir tous ses shérifs à la cour, à Canterbury, où il célébrera la Nativité, pour que nous lui rendions nos comptes. Et moi dans le lot, en tant que shérif, faute de mieux. Comment il mettra sa liberté à profit, mystère. Il paraît qu’il est en bonne santé et très décidé, mais cela ne tire guère à conséquence. Je ne saurais non plus vous dire ce qu’il compte faire de moi – c’est ce que je découvrirai en temps voulu.

— Je gage, mon fils, qu’il sera assez raisonnable pour tout laisser en l’état. Car ici, au moins, nous avons maintenu l’ordre dans la mesure du possible, et si on juge à l’aune de ce malheureux royaume, ce comté ne se porte pas si mal, tant s’en faut. Je n’en crains pas moins que, quelle que soit la décision qu’il prendra, cela n’épargne pas à l’Angleterre de nouveaux combats et de nouveaux malheurs. Et je ne vois guère comment vous et moi y pourrions quelque chose.

— Eh bien, si on ne peut pas donner la paix à l’Angleterre, dit Hugh, avec un petit sourire en coin, tâchons au moins d’agir au mieux tous les deux pour le bien-être de Shrewsbury.

 

Après le dîner au réfectoire, frère Cadfael traversa la grande cour, contourna la masse sombre, épaisse de la haie de buis, dont il remarqua qu’elle se dégarnissait et qu’elle était prête pour un dernier élagage avant que les grands froids interrompent sa croissance, et ensuite pénétra dans les jardins humides. Les roses dégingandées se balançaient à hauteur d’homme sur leurs tiges graciles, dépourvues de feuilles, et continuaient à répandre une lumière et une vie irrésistibles. Un peu plus loin, il y avait son propre jardin planté de simples, muré, silencieux, avec tous ses petits parterres carrés qui commençaient déjà leur hibernation ; il restait encore des pieds de menthe raides comme des baguettes, des buissons de thym tout aplatis contre le sol, afin de protéger les feuilles qui s’attardaient, et il flottait, malgré la saison, une odeur légère des parfums de l’été. Un peu comme un souvenir, comme l’émanation qui s’échappait par la porte ouverte de son atelier où des bouquets d’herbes sèches étaient accrochés à l’abri, à l’auvent et aux poutres, mais sans aucun doute, ces manifestations mineures et entêtantes de la bienveillance divine, à présent âgées et fatiguées, n’attendaient que le printemps pour retrouver toute leur vigueur et leur jeunesse. Chacune de ces herbes était semblable au beau phénix, preuve visible par excellence que la vie ne s’arrête jamais.

A l’abri du mur l’air était doux et calme, comme dans un sanctuaire. Cadfael s’assit sur le banc de son atelier, en face de la porte ouverte, et se prépara tranquillement à utiliser sa demi-heure de repos licite à méditer plutôt qu’à s’assoupir. La matinée lui avait amplement fourni matière à réflexion, et c’était ici, dans son petit royaume, qu’il y parvenait le mieux.

Voilà donc, se dit-il, le nouveau prêtre de Sainte-Croix. Mais pourquoi, diable, l’évêque de Winchester aurait-il été jusqu’à leur donner un des clercs de sa propre maison, quelqu’un qu’il estimait par-dessus le marché et qui, de surcroît, possédait les qualités remarquables de son maître, qu’il soit né avec ou qu’il les ait acquises en imitant son seigneur vénéré ? A moins que Winchester ne soit devenu trop petite pour deux personnalités d’exception, pleines de fierté et de confiance en soi, et qu’il n’ait été que trop heureux de se séparer de lui ? Ou bien encore le légat, après l’humiliation d’avoir dû publiquement faire amende honorable deux fois la même année et le coup sévère que cela avait porté à son prestige, avait peut-être jugé bon de profiter de l’occasion pour se rapprocher de ses évêques et abbés en prenant un intérêt paternel à leurs besoins divers, histoire de les flatter et de renforcer ainsi une allégeance chancelante. C’était fort possible, et s’assurer le soutien d’un homme de la trempe de Radulphe valait bien le sacrifice d’un clerc, tout valable qu’il fût. En tout cas, une chose était sûre, conclut fermement Cadfael, l’abbé ne se serait jamais prêté à une telle manœuvre s’il n’avait pas été convaincu que l’homme conviendrait parfaitement pour le poste.

Pour mieux réfléchir, il avait fermé les yeux ; confortablement adossé à la cloison de bois, les chevilles croisées, les mains dans les manches de son habit, il bougeait si peu que le jeune homme qui approchait sur les cailloux du sentier le crut endormi. Trompé par une immobilité si parfaite chez un homme éveillé, il n’était pas le premier à commettre cette erreur avec frère Cadfael. Ce dernier l’entendit arriver, malgré sa démarche feutrée et prudente. Il ne s’agissait pas d’un moine, les serviteurs laïcs n’étaient pas légion et avaient rarement l’occasion de venir ici. Et s’ils avaient besoin de le voir, ils ne prendraient pas autant de précautions. Et puis, l’homme ne portait pas de sandales, mais des vieilles chaussures patinées par l’usage, sur lesquelles il était sûr de marcher silencieusement. Il fallait reconnaître qu’il y parvenait presque, mais voilà, Cadfael avait l’ouïe fine d’une bête de la forêt. Les pas s’arrêtèrent devant la grande porte ouverte, et pendant un bon moment il y eut un silence complet. « II m’étudie, songea Cadfael. Oh ! je sais bien ce qu’il voit, à défaut de savoir ce qu’il en pense : un homme d’une bonne soixantaine, encore solide au poste, sauf quelques raideurs dans les articulations, fréquentes à cet âge, vigoureusement bâti, avec un visage camus, des cheveux bruns et raides, parsemés de gris – qui auraient besoin d’un bon coup de ciseaux, au fait ! – , autour d’une tonsure exposée à tous les temps depuis tant années. Il me soupèse, m’évalue en prenant tout son temps. »

— J’ai peut-être l’air d’un bouledogue, dit-il aimablement, en ouvrant les yeux, mais il y a bien longtemps que je n’ai mordu personne. Entre donc, n’aie pas peur.

Cette façon vive et inattendue de souhaiter la bienvenue, loin d’attirer le visiteur à l’intérieur, le fit reculer, fort surpris. Il resta immobile, dans la lumière de midi, en pleine vue. Il était jeune, sûrement pas plus de vingt ans, de taille moyenne, mais très bien constitué ; il était vêtu d’un haut-de-chausses fripé, d’une couleur terne, indéterminée, de chaussures de cuir tout éraflées, aux talons très fatigués, une cotte marron foncé un peu plus claire aux coudes, là où elle frottait contre les flancs ; une corde effilochée lui servait de ceinture et il avait un manteau court avec une capuche rejetée sur les épaules. Sa chemise de toile grossière, délacée, s’ouvrait au cou, et les manches de sa cotte, trop courtes pour lui, montraient un poignet pâle au-dessus de deux solides mains brunes. Bref, un jeune homme râblé, solide comme un roc, s’offrait au regard, et quand il fut revenu de sa surprise, le long silence approbateur sembla plus le rassurer que le mettre mal à l’aise, car il y eut une étincelle bien visible dans son regard et un sourire irrésistible erra sur sa bouche.

— A la loge, on m’a demandé de venir ici, dit-il très respectueusement. Je cherche un moine du nom de Cadfael.

Il avait une voix chaude, au registre agréablement grave, dont la résonance s’affirmait pleine de vitalité ; pour le moment il s’efforçait de se montrer soumis, et on sentait que dans sa bouche cette réserve ne lui était pas vraiment familière. Une masse de boucles châtain clair en bataille encadrait une belle tête bien portée sur un cou élégant ; et ce visage, qui se donnait tant de mal pour jouer le paysan innocent intimidé devant un supérieur, présentait des joues et un menton ronds et jeunes mais à l’ossature volontaire, et il était rasé de près comme il convient à un écolier digne de ce nom. Bref, un visage sans malice, sauf celle qu’il tentait de dissimuler et qui éclairait ses yeux marron clair, changeants et vifs comme l’eau des tourbières qui passe sur les galets où donne le soleil ; les prunelles resplendissaient des teintes vertes et brunes d’un bel automne. Impossible de dissimuler cet éclair joyeux. Pareil angelot ne pouvait emporter la conviction qu’endormi, sûrement pas quand il avait les yeux ouverts.

— Ne cherche plus, tu l’as trouvé, dit Cadfael. Et toi, je suppose que tu es le jeune homme qui est venu avec le prêtre et qui veut travailler avec nous pour le moment.

Il se redressa et se leva sans hâte. Ils étaient à peu près de la même taille. Le regard du garçon dansait comme l’eau d’une rivière, dans la lumière scintillante du soleil.

— Quel est le nom que ta mère t’a donné, mon garçon ?

— N... nom ?

Il bégayait ? Ça alors ! Et un battement de paupières soudain et nerveux voila un instant son regard brillant. Ce fut le premier signe de malaise que Cadfael détecta en lui.

— Benoît, je m’appelle Benoît. Ma tante Diota est veuve. Son mari, John Hammet, était un brave homme, palefrenier chez l’évêque du Winchester, et quand il est mort Son Emincnce a placé ma tante chez le père Ailnoth. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés ici. Ils se connaissent depuis trois ans et plus. Je lui ai demandé de me laisser les accompagner pour voir si je pouvais trouver du travail pas trop loin d’elle. Je n’ai guère de qualification, mais ce que je ne sais pas, je peux l’apprendre.

Voilà qu’il était lancé, à présent, et plus trace de bégaiement ; il avait mis un pied dans l’atelier, passant de l’éclat de midi à l’ombre de la pièce, ce qui atténua quelque peu la lumière périlleuse qu’il répandait.

— Il paraît que vous pouvez trouver à m’employer ici, dit-il d’une voix vibrante, qu’il tenta de rendre plus humble. Dites-moi ce que je dois faire et je le ferai.

— Voilà ce que j’appelle une attitude louable, reconnut Cadfael. A ce qu’on m’a dit, tu vas vivre avec nous dans la clôture. Où t’a-t-on logé ? Chez les serviteurs laïcs ?

— Nulle part encore, répondit le garçon dont la voix reprenait prudemment son timbre naturel. Mais on m’a promis un lit ici même. Je ne tiens pas vraiment à habiter chez le curé. Il y a quelqu’un de la paroisse qui s’occupe de son lopin de terre, on n’a donc pas besoin de moi là-bas.

— Eh bien, ici ce n’est pas le cas, s’exclama Cadfael, car, avec le défrichage qu’il faudrait terminer avant les grands froids et la demi-douzaine d’arbres fruitiers qu’il y a à tailler dans le petit verger avant Noël, je ne sais plus où donner de la tête ! Frère Bernard aura sans doute besoin d’un coup de main pour labourer sur la Gaye, c’est là que nous avons nos jardins principaux, au début tu sera un peu gêné par la configuration du terrain, mais tu t’y feras très vite. Mais je veillerai à ce que tu restes ici tant que le gros du travail ne sera pas achevé. En attendant, viens voir un peu ce qu’il y a pour toi entre ces murs.

Benoît avait pénétré de quelques pas à l’intérieur de la cabane. Il regardait autour de lui avec curiosité, voire un certain effarement, les pots et les flacons qui remplissaient les étagères de frère Cadfael, les bouquets bruissants d’herbes sèches qui frémissaient légèrement au-dessus de sa tête, sous l’effet de la brise qui pénétrait par la porte ouverte, les petites balances de cuivre, les trois mortiers, l’unique chaudron à vin qui bouillonnait doucement, les petites écuelles de bois pleines d’herbes médicinales, et un tas de minuscules pastilles blanches sur une dalle de marbre. Bouche bée, l’œil rond, il n’avait rien besoin de dire. Cadfael s’attendait presque à le voir se signer, à tout hasard, devant ces mystères lourds de menaces, mais Benoît n’alla pas jusque-là. « Et c’est tant mieux, se dit Cadfael, amusé, sur le qui-vive, car j’aurais eu un peu de mal à y croire. »

— Ça aussi, ça s’apprend, si on s’y met sérieusement, dit-il d’un ton bref, mais ça te prendra quelques années. Ce sont de simples médicaments – Dieu a fait tous les ingrédients qui les composent, il n’y a rien de sorcier là-dedans. Mais commençons par le plus urgent. Il y a un bon arpent de potager à bêcher, et une petite montagne de fumier à étendre au pied des arbres et sur les parterres de roses. Et plus vite on s’y mettra, plus vite on en aura terminé. Viens voir !

Le garçon lui emboîta le pas assez volontiers, observant tout avec intérêt de son regard vif et brillant. Cadfael lui montra par le menu tout ce qu’il y avait à faire, ce qui ne sembla pas de nature à effrayer Benoît qui réclama incontinent des outils pour commencer sans plus attendre. Cadfael lui indiqua où ils se trouvaient, sans omettre de lui donner des sabots pour lui éviter des blessures.

Ainsi équipé, Benoît se mit au travail avec circonspection d’après les indications indispensables que lui donna Cadfael.

Ce dernier laissa son acolyte se débrouiller seul jusqu’au moment de se préparer pour vêpres. Personne n’aime les inspecteurs des travaux finis. Il fut impressionné par la tâche qu’avait abattue le garçon, même s’il avait commis quelques maladresses au passage. Aussi était-il un peu sur la défensive quand il vit arriver Cadfael.

— J’ai abîmé le tranchant de la bêche contre une pierre, dit-il, mais j’ai vu un marteau dans l’atelier et je vais arranger cela. Je comptais faire encore deux rangées avant ce soir, ajouta-t-il.

— Mon fils, dit Cadfael enthousiaste, tu en as fait beaucoup plus que je ne m’y attendais. Quant à la bêche, le tranchant en a déjà été réparé trois fois, et je sais qu’il faudra bientôt recommencer. Si tu penses qu’elle peut encore tenir, alors vas-y, donne-lui un bon coup de marteau. Mais pour le moment il suffit, fais un brin de toilette et allons à vêpres.

Benoît arrêta de contempler les marques sur le tranchant, se rendant compte qu’il s’agissait d’une manière de compliment, et il eut le sourire le plus large et le moins méfiant que Cadfael eût jamais vu, cependant qu’une lueur traversait son regard clair comme un torrent de montagne.

— Alors, ça va ? demanda-t-il, partagé entre le plaisir pur et simple et une subtile impudence, tout fier de l’énergie qu’il avait déployée.

» C’est pratiquement la première fois que j’ai une bêche entre les mains, ajouta-t-il avec une honnêteté un peu volontaire.

— Tu m’en diras tant ! s’exclama Cadfael, très sérieux, examinant les mains du garçon qui dépassaient un peu trop de ses manches. Je ne m’en serais jamais douté.

— Avant, dit Benoît d’un ton un peu précipité, je m’occupais surtout...

— De chevaux, je sais ! Mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron, tu connais l’expression. Oui, ça ira.

Cadfael se rendit à vêpres, gardant en mémoire la silhouette désinvolte de son nouvel aide qui s’en allait à grands pas égaliser au marteau le bord tranchant de la bêche, tendant l’oreille pour saisir le refrain, de caractère assez peu liturgique, que sifflait le garçon, tout en frappant du pied pour en marquer la cadence.

— On a installé le père Ailnoth dans sa cure ce matin, dit Cadfael, qui revenait tout juste de la cérémonie, le matin du second jour. Ça ne te disait rien d’être là ?

— Moi ? dit Benoît se redressant, appuyé sur sa bêche, innocent et surpris. En quel honneur ? J’ai du travail ici, et il est assez grand pour se débrouiller tout seul. Je ne le connaissais pratiquement pas avant que nous venions ici. Pourquoi ? Tout s’est bien passé.

— Oh ! pour ça oui, tout s’est bien passé ! Son sermon a peut-être été un peu brutal pour des pauvres pécheurs, murmura Cadfael, plutôt méditatif. Il a sans doute voulu se montrer ferme dès le début. On peut se montrer moins dur après, quand le curé et ses ouailles se connaissent mieux et savent à quoi s’en tenir. C’est toujours délicat pour quelqu’un de jeune, étranger de surcroît, de succéder à un vieillard qui connaît les ficelles. On est à l’aise dans des vieux souliers, les nouveaux blessent un peu. Mais avec le temps, les jeunes vieillissent et apprennent à s’adapter.

Il semblait que Benoît ait manifesté une rapidité singulière pour parvenir à interpréter les propos de son nouveau maître. Il resta immobile, fixant Cadfael avec un léger froncement de sourcils, penchant sur le côté sa tête aux cheveux bouclés, plissant son front lisse avec une gravité inhabituelle, comme s’il se trouvait brusquement confronté à une question imprévue à laquelle il aurait dû réfléchir depuis longtemps si des préoccupations entièrement différentes ne l’avaient pas absorbé.

— Tante Diota est chez lui depuis plus de trois ans, dit-il après réflexion. Pour autant que je sache, elle n’a jamais eu à se plaindre de lui. Je n’ai eu l’occasion de l’approcher que pour venir ici, et je lui ai été reconnaissant de me prendre avec lui. Ce n’est pas le genre d’homme avec qui un domestique comme moi peut se sentir à l’aise, mais j’ai tenu ma langue et obéi à ses ordres. Il s’est plutôt bien comporté à mon égard. Mais ici, il se lance dans quelque chose de nouveau, tout comme moi, poursuivit-il, sa vivacité lui revenant comme une bourrasque de vent d’ouest, balayant tous ses doutes. Il y a pourtant une différence : lui cherche à s’imposer d’entrée de jeu alors que moi je préfère agir en douceur ; c’est plus raisonnable. Laissez-le tranquille et il reviendra à de meilleurs sentiments.

Il y avait certes du vrai là-dedans, un nouveau venu doit fournir un effort pour trouver sa place dans un endroit qu’il ne connaît pas ; il faut lui laisser le temps de respirer et celui d’écouter les autres respirer. Cadfael n’en retourna pas moins inquiet à son travail, se rappelant une homélie fort éloquente qui tenait à la fois d’un rêve frénétique et du Jugement dernier, commençant avec l’air pur d’un paradis quasiment inaccessible et se terminant par la description d’un enfer extrêmement réaliste :

— ... cet enfer qui est une île à jamais entourée par quatre mers, dragons gardant les damnés : la mer de l’amertume dont chaque vague cause une brûlure plus terrible que les feux du continent infernal lui-même ; la mer de la révolte où chaque effort du fugitif, nageur ou rameur, le rejette dans les flammes ; la mer du désespoir où sombre toute barque, où tout nageur coule comme une pierre ; la mer du repentir enfin, formée de toutes les larmes de tous les damnés par laquelle seuls quelques rares élus peuvent s’échapper, puisqu’une larme unique de Notre Seigneur sur les pécheurs est tombée jadis dans l’océan de feu et l’a apaisé et rendu plus doux pour ceux qui parviennent à la perfection du remords.

De la pitié, oui, mais une pitié étroite, effrayante, songea Cadfael, remuant une spatule dans un baume pour la poitrine des vieillards de l’infirmerie, trop humains et faillibles comme lui, et qui ne seraient plus longtemps de ce monde. S’agissait-il même de pitié ?

Les Ailes du corbeau
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